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1 décembre 2006 5 01 /12 /décembre /2006 12:00


Leïla Sebbar : une littérature pour tous

 

 

 

 

Si Leïla Sebbar n’est pas une auteure pour la jeunesse, dans le sens où nous l’entendons généralement, la lecture de plusieurs de ses romans et nouvelles trouve néanmoins une résonance dans un large lectorat.

Née en Algérie pendant la colonisation, de père algérien et de mère française, elle part vivre en France pendant l’adolescence et ne cessera alors plus de réfléchir, à travers l’écriture, sur les liens qui unissent ses deux pays, ses deux parties d’elle-même.

À travers ce travail de mémoire et de construction identitaire, Leïla Sebbar, parle souvent de l’enfance, ce moment fondateur qui construit ou détruit l’adulte en devenir. Son écriture s’adresse ainsi à tout jeune lecteur qui saura être sensible à ces questions à la fois singulières et universelles et encore plus ces adolescents issus de l’immigration qui retrouvent dans ses récits leur propre histoire, leur double culture, et essaient de se créer face à elle.

Malheureusement, force est de constater que ses textes sont très peu connus du jeune public notamment car ils sont peu enseignés dans les écoles, les professeurs eux-mêmes ayant encore peu d’outils pédagogiques afin d’enseigner les littératures francophones contemporaines .

C’est pourquoi, en amont d’un travail approfondi sur l’oeuvre de Leïla Sebbar, nous proposons une petite présentation de quelques textes à faire découvrir aux adolescents et aux plus grands :

 

Tout d’abord deux recueils de nouvelles : La jeune fille au balcon (Editions du Seuil, coll. Points Virgule, 2001) et Soldats (Edition du Seuil, coll. Fictions, 1999). Le premier recueil alterne les deux lieux de narration que sont l’Algérie et la France et s’attache à montrer les liens qu’entretiennent les enfants d’immigrés avec les autres à travers le prisme des deux cultures. Des rencontres à la fois difficiles et enrichissantes. Les sept récits du second recueil parlent, quant à eux, d’enfants guerriers projetés dans une situation qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils ne maîtrisent pas étant confrontés à tous les malheurs qu’entraîne la guerre : mort, exode, famine, etc.

 

D’une approche plus historique, La Seine était rouge, Paris, octobre 1961 (Editions Thierry Magnier) revient sur le massacre du 17 octobre 1961[1] à travers le personnage d’une jeune étudiante, Amel, qui ne comprend pas le silence de ses proches qui refusent de lui parler de ce qui s’est passé, alors qu’ils acceptent de se confier à un cinéaste réalisant un documentaire sur le sujet. Nous retrouvons ici la thématique première de l’écriture de Leïla Sebbar qui est la parole, ou plutôt le manque de parole. Tout son travail de mémoire part de ces non-dits, le plus souvent liés à l’exil, à une amnésie aussi bien politique, historique que culturelle.

La complexité de cette mémoire recherchée s’illustre aussi dans le récit documentaire, J’étais enfant en Algérie : juin 1962 (Editions du Sorbier, coll. J’étais enfant, 1997) où un enfant pris dans la tourmente, à la fin de la guerre, se questionne et s’inquiète sur la déchirure et la séparation qu’entraîne le départ des colons vers la France.

 

Leïla Sebbar s’attache également à suivre le parcours d’une adolescente à travers une série de trois récits d’aventures. Le premier, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts (Editions Stock, 1982) retrace, dans un registre à la fois drôle, extravagant et réaliste, les dérives d’une fugueuse de banlieue et ses rencontres dans Paris. Cette jeune fille insoumise erre dans la ville (un de ses de squats préférés étant les bibliothèques) et côtoie les univers les plus sombres (drogue, prostitution) à la recherche de son identité et de sa liberté. Ses aventures se poursuivent avec Les carnets de Shérazade (même éditeur, 1985) où elle trace à travers la France sa propre géographie lyrique et amoureuse et invente, au fil de ses cahiers, une terre nouvelle à la croisée de l’Occident et de l’Orient. Enfin, Le fou de Shérazade (même éditeur, 1991) narre la quête de Julien, qui depuis sa rencontre avec Shérazade à Paris, ne pense plus qu’à la retrouver même si cela implique de parcourir le monde entier.

 

Pour terminer cette présentation et souligner le travail collectif de l’auteure, évoquons les deux recueils de récits qu’elle a dirigés. Une enfance algérienne (Editions Gallimard, coll. Folio, 1997) où seize écrivains nés en Algérie avant l’Indépendance racontent des bribes de leur enfance et les regards qu’ils portaient alors sur leur histoire. Dans la même optique, Une enfance d’ailleurs (Editions J’ai lu, 2002) réunit des auteurs nés et élevés dans un pays autre que la France mais y vivant aujourd’hui qui relatent un moment singulier ou des fragments de leur enfance étrangère. Encore une fois, ces histoires contribuent à montrer aux jeunes toute la richesse de la double culture et l’intérêt d’une dynamique mémorielle afin de mieux se construire.

 

 

 

Jessica FALOT

 


[1] Le Massacre du 17 octobre 1961 désigne la répression qui a frappé une manifestation pacifique en faveur de l’Indépendance de l’Algérie en France. Selon les estimations, entre 32 et 325 Maghrébins sont morts sous les coups de la police française, alors dirigée par le préfet de police Maurice Papon. Des dizaines de manifestants ont été jetés dans la Seine, tandis que d’autres sont morts dans des centres de détention. Nié par les autorités de l’époque, le massacre n’a été reconnu officiellement que le 17 octobre 2001 par le maire de Paris, Bertrand Delanoë.

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1 décembre 2006 5 01 /12 /décembre /2006 11:50

Analyse


Des mots pour l’indicible ou la littérature du silence

Par Sandrine Meslet

 

 

Paris,octobre 1961[1]. Au-delà de l’importance de l’événement historique, celui du 17 octobre 1961, délibérément ignoré et passé sous silence par l’Histoire, la littérature reprend le fil et mène sa propre enquête. Car ce silence a une date, ce silence a un lieu, qui se confond avec la honte et le mépris. « Parler des silences » c’est à travers ce curieux paradoxe que présente l’écriture de Leïla Sebbar, que nous tenterons d’envisager son roman Le Seine était rouge

Le roman illustre en partie, le silence des acteurs de l’événement, mais aussi celui des témoins et des bourreaux. Par le choix d’une technique empruntée au documentaire, Sebbar découd et recoud le fil fragile de l’événement à travers les regards croisés de ses personnages. Leur rendre voix et mémoire revient à mettre à jour le refoulement initial, et à envisager le documentaire du jeune Louis sous un angle cathartique. En effet, son personnage se heurte ainsi à l’incompréhension de sa mère : « Quelle vérité ? Tu sais la vérité….C’est difficile… […] Tu as vraiment besoin de faire ce film ? C’est pas ton histoire…[2] », mais les personnages témoignent également de leur oubli volontaire, à l’image de Mourad devant Amel et Omer qui dit : « J’ai oublié, au cours des années. Il faut travailler, on travaille, on oublie[3] ».

Ces trois jeunes gens vont ainsi permettre à la parole de prendre forme, il y a Amel qui cherche à découvrir ce que sa mère et sa grand-mère lui cachent, Louis le cinéaste par qui le témoignage arrive, et enfin Omer, réfugié politique, qui dépasse le cadre de l’événement pour évoquer l’histoire algérienne actuelle.       

Partant de cet immense chaos du silence, le personnage Amel se lance sur les traces de l’événement caché que personne ne semble en mesure de lui révéler, et se voit contrainte de construire sa propre mémoire. Au sein de ce roman familial, « celle qui sait » est aussi celle qui ne doit pas savoir, le discours de la grand-mère évoque ainsi l’impossible transmission « Jamais de la vie, ma fille, jamais je ne te punirai pas parce que tu n’as pas réussi à parler la langue des Ancêtres, tu as essayé, j’ai essayé avec toi, tu n’as pas dit non, mais tu n’as pas parlé l’arabe…. Tu es une fille savante, ma fille, je ne vais pas te punir parce que tu es savante[4] ». La confidence est sans aucun doute une affaire de personne, Amel n’est pas en mesure de recueillir la confidence de sa mère et encore moins celle de sa grand-mère, une sorte d’abîme culturel empêche une transmission directe. De plus, la confidence doit se faire témoignage et éclater en dehors de la cellule familiale, il n’est pas seulement question d’une histoire familiale, mais bien d’une histoire nationale.

 

Nous suivons donc parallèlement, le déroulement du documentaire et le parcours d’Amel à travers Paris dans les lieux qui ont marqué la journée du 17octobre 1961. Chaque étape de la marche d’Amel et d’Omar est relayée par le témoignage de la mère. Il semble que l’héroïne soit littéralement accompagnée par la parole de sa mère, semblable à une litanie, dont elle s’est imprégnée pendant le visionnage du documentaire. Et, comme le suggèrera Omer, ce témoignage devient sa vérité « […] c’est ta vérité maintenant le film de Louis[5] ». Le témoignage massif de la mère permet au lecteur de suivre le déroulement des événements, il lui faut comprendre comment la marche familiale et pacifiste se change en marche funèbre.

Ce que rapportent les témoignages, c’est avant tout l’existence du racisme, du vécu quotidien de ce racisme, qui conduit à la haine et au massacre « Même la Seine, elle en voulait pas des Algériens[6] ». Le roman installe le climat qui prélude aux violences, l’intolérance et le mépris envers les algériens français, et surtout le blocage psychologique cristallisé autour de la guerre d’Algérie[7]. Il y a rencontre de deux conceptions d’une même histoire, dramatiquement incompatibles ; deux sociétés semblent ainsi se faire face, l’une rendant compte de mutations et l’autre s’y opposant farouchement, sauvagement. Pourtant, Sebbar ne se contente pas de la surface, elle montre aussi les violences à l’intérieur des mouvements indépendantistes algériens, et les différentes prises de position de la communauté algérienne de France. Le roman ne se contente pas d’évoquer le silence du témoignage, il se concentre également sur la complexité épistémologique de l’événement, lequel semble conduire à la tragédie algérienne.

 

Toute parole est pudique, le sens du témoignage ne se fait jamais sous l’angle de la revendication, il constate l’horreur. Ainsi, le silence des tortures et des disparitions n’est jamais évoqué, car le silence laisse place aux images et aux actes barbares qu’énonce la parole. L’ellipse est souvent privilégiée par l’écrivain pour révéler et insister sur les manquements de la parole, les témoins suspendent et dévient le cours du récit. Ils illustrent l’impossible confidence de la souffrance. Le texte se confond alors avec l’apprentissage d’une parole libérée, que deux épitaphes en lettres de sang viennent placarder sur les murs de France :

« 1954-1962 DANS CETTE PRISON FURENT GUILLOTINÉS DES RÉSISTANTS ALGÉRIENS QUI SE DRESSÈRENT CONTRE L’OCCUPANT FRANÇAIS[8] »

« ICI DES ALGÉRIENS ONT ÉTÉ MATRAQUÉS SAUVAGEMENT PAR LA POLICE DU PRÉFET PAPON LE 17 OCTOBRE 1961[9] ».

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                            

  

 


[1] La Seine était rouge, Paris, octobre 1961, édition Thierry Magnier, 2003 [1999], 125 p.

[2] Ibid, p. 26  

[3] Ibid, p. 93 

[4] Ibid, p. 16 

[5] Ibid, p. 64

[6] Ibid, p. 59

[7] Notons ici que le fait même d’avoir donné, par euphémisme, le nom d’ « événement » à ce qu’il faut bien appeler une guerre, en illustre toute la complexité.

[8] La Seine était rouge, Paris, Octobre 1961, op. cit., p. 29

[9] Ibid., p. 81

 

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1 décembre 2006 5 01 /12 /décembre /2006 11:30


Les Femmes au bain ou une écriture du mélange et de la brume 



Propos recueillis par Circé Krouch-Guilhem le 24 novembre 2006

 

 

    Tout en ayant un lien avec vos œuvres antérieures, Les Femmes au bain[1] semblent toutefois s’en démarquer.

    Les thèmes de l’exil ou de la langue en sont presque absents, alors qu’ils caractérisent la plupart de vos précédents ouvrages. Mes Algéries en France[2], carnets de voyage, ou Je ne parle pas la langue de mon père[3] étaient très liés à votre parcours personnel. Dans Les Femmes au bain, vous semblez vous effacer et faites parler principalement une femme et un homme, sans noms, liés par l’amour qu’ils se portent, placés tous deux dans des espaces clos collectifs. Ils résistent à la société patriarcale traditionnelle et dénoncent l’intégrisme religieux.

    Si ces thèmes vous mobilisent déjà depuis longtemps, il semble que vous employez une écriture « différente », pleine d’oralité et caractérisée par un flou, relatif, spatio-temporel pour les aborder.

    Je voudrais limiter, car hélas il le faut, cet entretien aux relations entre écrit et oral dans Les Femmes au bain ainsi qu’à quelques questions quant au cadre spatio-temporel flou.

 
 

Leïla Sebbar : « La fiction comme dans Fatima ou les Algériennes au square[4], dans Shérazade : 17 ans, brune, frisée, les yeux verts[5], dans J. H. cherche âme sœur[6], dans Le Silence des rives[7] traitent de sujets qui m’importent, mais il n’y a pas de liens directs entre les personnages et moi-même. »

 
 

1° Peut-on parler de complémentarité, de mélange entre écrit et oral dans votre écriture, particulièrement celle de Les Femmes au bain, du fait notamment qu’il n’y ait pas de marquage typographique, formel distinguant ce qui appartient au discours et ce qui relève de la narration ?

Leïla Sebbar : « Dans Parle mon fils parle à ta mère[8], on est aussi dans l’émotion de l’oralité, sans ces marquages matériels. Ce que j’écris n’est pas la langue orale quotidienne, banale, de celle qui peut apparaître dans les romans récents que l’on appelle les romans des jeunes des cités. On entend la voix de la langue, certes, mais d’une langue écrite : c’est là le paradoxe, c’est ce qu’on appelle la poétique du texte. C’est comme une langue intérieure. Ce que Céline disait à propos de sa manière d’écrire, c’est qu’il voulait faire passer l’émotion de la langue parlée dans le texte, à travers ce qu’il écrivait. On n’écrit jamais au fil de la plume. C’est un peu ce que je retrouve quand je lis des textes de Richard Millet, L’Amour des trois sœurs Piale[9], ou de Pierre Bergounioux Miette[10]. On retrouve chez eux, dans un autre espace, celui de la terre paysanne, ce travail d’une langue qui appartient à des voix particulières. Il y a aussi un espace frontière, un espace d’un monde à l’autre. Dans Les Femmes au bain, on est dans le passage d’un monde à l’autre, celui de la tradition à la modernité.

 

Cela me dérange qu’on fasse la différence dans des textes comme celui-ci entre oral et écrit. On produit du texte où l’oral c’est l’écrit et où l’écrit c’est aussi l’oral. Le mot « mélange » me gêne, on dirait plus « symbiose », ce sont deux choses qui se mêlent étroitement, on ne peut distinguer ce qui appartient à tel ou tel registre. »

 
 

2° Peut-on interpréter cette symbiose entre écrit et oral comme un moyen de symboliser et de montrer la fécondation de l’un par l’autre ? Par conséquent, comme un moyen de symboliser les liens féconds entre ces modes d’expression majeurs de l’esprit humain ?

L.S. : « Je ne me suis pas vraiment posé la question. »

-Cela relèverait-il de l’inconscient ?

L. S. : « Oui, plutôt de l’inconscient que de l’intention, bien que je sache ce que je fais : je n’ai pas de muse qui me dicte ce que je dois écrire. Les femmes n’ont pas de muse, la muse est réservée aux hommes… »

 
 

3° Comment envisagez-vous par conséquent votre fonction, votre statut d’écrivain par rapport à ces problématiques de l’écriture et de l’ « oraliture » ?

L. S. : « Je veux faire entendre une voix, une voix qui marche du côté du désir, du plaisir et de l’amour. Une voix de liberté sans contrôle tribal, communautaire, patriarcal, c’est cela qui m’intéresse dans ce texte-là. Cela me faisait plaisir à travers ces voix, car il y a des voix différentes, de femmes, d’hommes aussi, de m’amuser avec les références littéraires d’un monde de l’Orient musulman en opposition parfois avec la représentation du corps des femmes dans la peinture occidentale. C’est un peu un jeu avec Shéhérazade, d’une part la sultane et d’autre part la jeune Shérazade de ma trilogie romanesque, sa relation particulière avec la peinture orientaliste et ce qu’elle cherche à représenter. Il y a dans ce texte aussi un certain nombre de clins d’œil à mes autres textes. »

-En effet, on perçoit un intratexte très fort dans Les femmes au bain.

L. S. : « C’est un peu comme dans Mes Algéries en France, on peut lire ce texte comme autant de clés pour rentrer dans un certain nombre de textes que j’ai déjà écrits, ces allers-retours m’amusent. »

-On retrouve dans Les Femmes au bain Shérazade, Isabelle Eberhardt… 

L. S. : « Oui, on y retrouve aussi l’obsession de la mort en terre étrangère, évoquée déjà dans Mes Algéries en France, avec les harkis et les chibanis, dans Le Silence des rives. On a apparemment l’impression que les thèmes qui traversent mes livres ne sont pas là mais ils sont en fait toujours présents. L’exil est là : une partie des Femmes au bain, la scène des vendanges par exemple, se passe dans un pays occidental. La Bien-aimée fait référence à des tableaux qu’on ne peut voir qu’en Occident. Autre thème récurrent : beaucoup de femmes font référence aux livres des bibliothèques du père, au fait que le père leur permette l’accès au savoir. Et finalement les filles qui échappent à l’enfermement intellectuel, sentimental sont les filles de ces pères dans ce texte. »

 

4° La critique littéraire, hier et encore aujourd’hui en partie, considère que l’écriture est marquée par le sexe de l’auteur, qu’il y a une écriture-femme marquée en particulier par l’oralité. Faire parler et écrire à la première personne la voix féminine de la Bien-aimée et la voix masculine de l’Etranger de Sang, en alternance, est-ce faire un pied de nez à cette conception dominante de la critique littéraire ?

L. S. : « Je ne crois pas que l’écriture féminine, s’il y a une écriture-femme, se définisse par un « je » féminin. Un homme peut écrire à la première personne féminine, une femme peut écrire à la première personne masculine. »

-Êtes-vous d’accord pour dire que cette conception est bancale ?

L. S. : « En tout cas, elle ne me convainc pas. Je n’ai pas de réponse définitive là-dessus. Je dirais que quand j’écris des nouvelles, je me sens davantage dans le masculin, dans la manière d’écrire et dans le fait d’écrire un texte bref qui souvent se situe du côté de la violence. Alors que quand j’écris un roman, je suis davantage, il me semble, dans la position ou dans l’attitude de ce que l’on pourrait appeler le féminin, j’écris dans une certaine lenteur, dans une tentation de psychologie. Il faut du temps au roman, un temps qui correspondrait au temps de la sexualité féminine. Mais comme je me méfie beaucoup du sentimentalisme et du psychologisme du roman pour les femmes, souvent écrit par des femmes, des sagas familiales, de ce qu’on appelle le roman d’amour, romans commerciaux, à succès, je me garde de ce que je sens comme appartenant au cliché du féminin. Attention, je ne parle pas des romancières anglaises de polar où il y a des morts à toutes les pages. Je parle de romans à succès pour les femmes, tel que peut l’être la saga familiale de Régine Desforges : voici un bon exemple de ce que l’on pourrait appeler un roman pour lectrices de la presse féminine, on pourrait en citer beaucoup d’autres.

Je ne pense toutefois pas qu’on écrive avec du neutre : on écrit sexuellement, le geste est sexué, avec des équivoques, des ambiguïtés, des ambivalences. Quand on lit Hemingway on ne se trompe pas sur le sexe du romancier, quand on lit Céline on ne peut pas se tromper non plus. »

-On dit également la même chose de Colette

L. S. : « J’ai beaucoup aimé Colette car elle avait cette sensibilité très féminine, elle est du côté du féminin sans le représenter comme un féminin mièvre et trop sentimental. »

 
 

5° Pourquoi mêler entre elles des histoires individuelles de tous lieux du Maghreb et du Machrek et de toutes époques et les ancrer dans un cadre spatio-temporel flou ?

L. S. : « Je n’avais pas besoin de localiser et de donner des noms géographiques en particulier. Autant dans Mes Algéries en France et dans Journal de mes Algéries en France[11], tout est très localisé avec des noms géographiques qui me font plaisir. Autant là, il me plaisait que ce soit dans la brume du bain et que quiconque puisse s’identifier à ce paysage-là, à ces paysages, à ces femmes, à leurs rêveries, à leurs colères. »

-Était-ce pour montrer la portée universelle de ces histoires ?

L. S. : « On peut écrire une histoire très locale et très localisée qui tend à l’universalité. Ce n’est pas parce que l’on se trouve dans dix pays à la fois qu’on est universel. Quand on lit certains textes très ancrés dans un milieu local, prenons l’exemple de À la Recherche du temps perdu, on est au Faubourg Saint Germain, à Illiers Combray et à Balbec. Ce sont trois espaces très typés et pourtant on ne peut pas dire que Proust soit un écrivain régionaliste.

Pour ma part, je n’ai pas d’intention universaliste ou universalisante. Je parle toujours de rencontres qui ne devraient pas avoir lieu et qui ont lieu. »

-Le fait que des Algériennes reprennent des histoires qui viennent d’Orient et qui s’appliquent à leurs histoires ne vise-t-il pas à montrer une communauté de sentiments au-delà des frontières ?

L. S. : « C’est parce que celles qui parlent, en dehors de la vieille négresse qui n’appartient pas au même univers culturel, ont cette culture-là. Ce sont des filles du père et des filles du livre qui ont ces références : ce sont des « Shéhérazades » d’une certaine manière, modernes. C’est un peu une fable ce texte. »

-Une fable d’accord, mais tout de même ancrée dans un contexte violent, celui de l’intégrisme et de la société patriarcale ?

L. S. : « Oui, mais je ne fais pas un discours contre l’intégrisme ni contre le patriarcat, ils sont mis en question dans la fiction par les voix des femmes qui se parlent. »


 

6° Dans Les Femmes au bain, les repères spatio-temporels se dévoilent au fur et à mesure que les femmes se voilent

L. S. : « Je n’ai pas remarqué. »

-Encore un effet de l’inconscient ?

L. S. : « J’espère bien, si l’on pouvait tout expliquer, tout rationaliser tout le temps, ce serait ennuyeux. Les Femmes au bain, ce sont les femmes entre elles, ensemble, qu’elles soient en Orient ou en Occident, elles parlent des mêmes choses… »

 

 

 
Je souhaiterais adresser ici encore un grand merci à Leïla Sebbar qui a bien voulu m’accorder cet entretien.
 

 

 

 

[1] Les Femmes au bain, Bleu autour, 2006, 88 p.

[2] Mes Algéries en France, Bleu autour, 2004, 238 p.

[3] Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003, 124 p.

[4] Fatima ou les Algériennes au square, Stock, 1981, 233 p.

[5] Shérazade : 17 ans, brune, frisée, les yeux verts, Stock, 1982, 268 p.

[6] J. H. cherche âme sœur, Stock, 1987, 214 p.

[7] Le Silence des rives, Stock, 1993, 143 p.

[8] Parle mon fils, parle à ta mère, Stock, 1984, 83 p.

[9] Richard Millet, L’Amour des trois sœurs Piale, POL, 1997, 316 p.

[10] Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, 1994, 166 p.

[11] Journal de Mes Algéries en France, Bleu autour, 2005, 146 p.

 

 

 


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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:49


Les écrivains dans la presse face à la guerre 
par Lama Serhan

 

 

Dans un article que Toni MORRISON accorde à « Télérama » (daté du 28 octobre au 3 novembre), elle propose une explication de sa notion d’écrivain « Je ne pense pas que Shakespeare, Chaucer ou Diderot écrivaient en faisant abstraction du monde... Pour lire la suite de l'article sur notre nouveau blog, cliquer ici

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:47
La littérature algérienne face à l’émergence du terrorisme islamiste
par Ali Chibani

 

 

 

Il a suffi de quelques incultes, de quelques fous de Dieu et de quelques opportunistes pour que  l’Algérie sorte de l’Histoire. Ils ont estimé que la vie humaine valait moins que leurs intérêts personnels, matériels ; intérêts défendus sous le couvert de la foi. Qu’opposer à des égorgeurs d’enfants, à des éventreurs de femmes enceintes qui leur retirent le fœtus et le découpent en morceau ? Qu’opposer à ceux qui ont jugé bénéfique de détruire des écoles, de brûler des usines ? Qu’opposer à ceux qui n’ont pas épargné les bêtes ? Comment savoir ce qu’il faut opposer quand la bestialité de l’homme se déchaîne pour déborder toutes les cruautés dont cet homme est reconnu capable par la raison ? 

Face à l’émergence du terrorisme islamiste en Algérie, quelques écrivains ont ressenti le besoin... Pour lire la suite de l'article sur notre nouveau blog, cliquer ici

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:46

Suburban Blues ou le chant d’une « lieuebannie »

  
 

Si nous nous limitions aux informations données par la quatrième de couverture de Suburban Blues[1] de Georges Yémy, nous nous cantonnerions à l’idée fort restrictive qui résume ce livre à un simple « roman dont la trame se déroule dans une certaine banlieue […] ». Or, les quatorze chapitres de cette histoire forment une composition artistique totale, mêlant à la fois les expressions lyriques et poétiques, les descriptions romanesques, les mises en scène et dialogues théâtraux, ainsi qu’une ondulation rythmique propre à une musicalité reggae, voire « slam ». A l’image de l’œuvre fragmentaire de Kateb Yacine, Suburban Blues nous révèle donc, page après page, un genre unique car pluriel. L’hybridité de ce texte apparaît même dans la richesse de sa langue que nous devrions d’ailleurs nommer « plurilangue » au vu de la multiplicité de son verbe inspiré notamment de l’anglo-saxon, d’une langue africaine appelée le yakalak, de l’originalité linguistique des banlieusards, et de la poésie rimbaldienne et baudelairienne. En érigeant une telle mosaïque d’écritures, Yémy a ainsi voulu dévoiler une totalité existentielle par le truchement du récit du parcours initiatique d’un personnage principal, qui plus est autobiographique, parti à la recherche de son identité et d’une plénitude de soi au cœur d’un univers dichotomique divisé entre rêve et réalité, amour et violence, Eros et Thanatos.

Ligne directrice de Suburban Blues, la quête de « l’Onirium[2] » constitue la raison de vivre du narrateur-personnage meurtri par des années noires, fruits de trahisons tant fraternelle que maternelle, de clandestinité et de discriminations. Accéder à « l’autre côté du cerveau[3] » devient en effet une nécessité vitale pour ce perpétuel expatrié, ce « Fils de l’Ailleurs[4] », qui aspire à « s’auto-démasquer », à découvrir son véritable Moi intérieur via un exil onirique au cœur de « La Plaine[5] » située dans l’entre-deux mondes urbain et suburbain parisien. Guidé par l’Esprit supérieur de Män, le personnage quasi-christique traverse alors une multitude d’épreuves existentielles, toutes plus difficiles les unes que les autres, à la manière d’un pèlerin marchant vers la Lumière divine et salvatrice. C’est pourquoi cette œuvre syncrétique pourrait répondre au nom d’apocalypse dans le sens étymologique du terme. A partir de la description d’une humanité plongée dans le chaos et la sauvagerie, elle dépeint la renaissance d’un être marqué par la souffrance mais sorti victorieux des pièges cruels de l’existence. Le dénouement du Livre de Yémy illustre par conséquent l’apogée du narrateur-personnage, « l’Antémaître[6] », mirant au côté de Män l’aube croissante et révélatrice d’un monde nouveau, celui de l’Onirium.

Bien que l’écoute de « La Voix[7] » de cet Esprit sacré soit déterminante dans l’émancipation du Moi de « l’Espylacopa[8] », celle-ci n’aurait cependant pu se réaliser sans les nombreux actes d’amour qui ont conduit cet homme à se laisser envoûter par la sensualité de diverses figures féminines appartenant à la fois à l’Imaginaire onirique et à la réalité spatio-temporelle de notre contemporanéité. La peinture poétique de ces scènes charnelles, métaphores de la fertilité et de la renaissance recherchées, rompt d’ailleurs avec la dureté du décor suburbain, lieu banni que l’auteur féminise dans son texte en le désignant subtilement par le néologisme « lieuebannie ». L’entrelacement des corps permet ainsi de déceler le premier échappatoire à la barbarie généralisée du quotidien en ces « finistères ». A travers l’exposition de la beauté de ce mélange fécond du féminin et du masculin, Yémy en appelle donc au métissage culturel, seul garant de la survie de l’homme, de sa résurrection, dans ce contexte d’évanescence et de fracture sociales. En somme, la fusion filiale entre les peuples et l’acceptation de son corollaire, à savoir la pluralité identitaire semblent, pour l’écrivain, les conditions sine qua none au dépassement des antagonismes centre-périphérie, dominants-dominés, civilisés-barbares, contraires qui n’ont eu de cesse que d’emprisonner et de détruire la société française de l’intérieur. « Ne t’en fais pas, toi mon fils, mon père, mon frère et mon petit-fils à la fois[9] », nous confie Yémy de facto.

 

Suburban Blues sonne donc l’état d’urgence face à une France « janusienne », incapable non seulement de reconnaître sa propre identité métisse, mais aussi de dialoguer tel que l’entend Platon avec ses enfants « aux multiples visages[10] » et investis de mille et une cultures. A l’instar du Livre sacré, cette œuvre nous montre le chemin à suivre pour tenter de nous extraire de ce chaos destructeur dans lequel l’humanité toute entière paraît sombrer. Yémy prend ainsi les traits d’un prophète à jamais exilé en son Pays, naviguant d’une rive à l’autre de la Seine, entre son royaume fantasmagorique et un ici-bas désenchanté.

 

J’avance et mes pas racontent sur le sol mon histoire, laissant des traces et des signes, des empreintes, comme une écriture. Et mon écriture ressemble à ma vie, elle n’a pas d’autre règle que celle de réordonner le chaos selon ma propre cohérence, mes compétences et ma sagacité. Dans la cité ou bien ailleurs[11].


La parole et le chant de ce griot résonnent alors tel un hymne à la vie, au regain d’une communauté humaine aujourd’hui ancrée dans l’individualisme et le rejet de l’Autre. Par conséquent, ce texte nous paraît être de première importance à l’heure actuelle car il s’inscrit dans une démarche à la fois philosophique et civique en s’interrogeant sur les maux collectifs propres à notre temps et à notre société tout en essayant d’y remédier grâce à la puissance ironiquement homonymique et transcendante des mots.


Marine PIRIOU

[4] Ibid., p.273.

[5] Ibid., p.46.

[6] Ibid., p.36.
[7] Ibid., p.44.

[8] Ibid., p.14 ; écriture inversée d’Apocalypse et autre surnom du personnage principal.

[9] Ibid., p.269.

[10] Ibid., p.69.

[11] Ibid., p.140.

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:43

 

 

La langue française dans la chanson kabyle

 

 

La présence de la langue française dans la chanson kabyle a d’abord servi pour certains chanteurs satiristes dans l’objectif de dénoncer l’imitation des comportements français par les Algériens au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Mais, elle a rapidement pris la place d’un signe dont le sens est extra-diégétique.  

 

Chez le poète Slimane Azem (1918-1983), la langue française est le signe de la déchirure. Ce chanteur, forcé à l’exil par les autorités algériennes, n’a jamais accepté d’être séparé de sa région natale. Dans Madame, encore à boire, le locuteur s’adresse à une serveuse française à qui il explique les raisons qui l’ont poussé, pour la première fois, à l’ivresse. Il alterne la langue kabyle et la langue française. En réalité, dans la langue du pays d’accueil, il ne dit rien qui puisse découvrir son mal. Est ainsi mis en lumière le mal-être des premiers immigrés algériens pour qui le secret du groupe originel est sacré et ne se divulgue pas au premier venu. De facto, l’hôte se retrouve dans la position d’un étranger, c’est-à-dire de celui qui cherche ses repères dans un nouvel espace-temps, faisant ainsi l’expérience de l’immigration malgré lui, donc de l’exil, car il n’est pire exilé que l’exilé du sens. Slimane Azem met en scène ces Algériens analphabètes qui ont besoin d’aide pour la lecture de leurs lettres, des lettres qui ne rapportent qu’une seule demande : « envoie-nous de l’argent ». « Algérie, mon beau pays » reste l’un des plus beaux poèmes de Slimane Azem. Poème nostalgique se souvenant dans le même geste de découverte pour autrui de l’espace quitté. Ce poème prend deux sens selon l’auditeur. Pour l’Algérien, il s’agit de l’expression exacerbée d’un état de crise et d’angoisse face à l’avenir incertain, et d’un désir de retour à un passé plein. Pour l’auditeur français, la chanson fait voyager. Le poète entend par la même occasion qu’en réalité, l’Algérie est, à sa manière, un pays riche, ce qui implique une réflexion sur ce qui pousse tant d’hommes à quitter leur terre pour une autre où ils ne gagneront que mépris. En s’adressant à sa mère l’Algérie en français, Azem signe l’impossibilité de dépasser la rupture produite dans le Moi par l’exil. Malgré sa parfaite maîtrise de la langue française, ce qui était rare pour les hommes de sa génération, celui qui était considéré comme le La Fontaine kabyle pour ses fables crie que le lien ombilical n’est toujours pas coupé ; qu’il ne peut être rompu sans le consentement des deux côtés liés, ni par la dictature, ni par une autre société aussi attirante soit-elle. C’est d’ailleurs le cri de détresse qui prime dans ce chant : « Quand je chante ce poème/Je retrouve tout mon espoir[1] ». Ainsi, son public a exigé de lui une autre version dans sa langue maternelle. Ce qui fut fait comme pour se réchauffer avec ses larmes avant de les sécher. « La carte de résidence » est une adresse au peuple français. Le poète expose les injustices subies par les siens, se faisant la voix des immigrés : « Le travail quand il est dur/ C’est pour l’émigré bien sûr ». L’œuvre se transforme en mémoire historique : « Mesdames Mesdemoiselles Messieurs/ Si je dois vous dire adieu/ Sachez bien que mes aïeux/ Ont combattu pour la France/ Bien avant la résidence[2] ».

 

« Le chant kabyle, c’est le chant de la résistance. » C’est dans ces termes que Matoub Lounès (1956-1998) présentait sa chanson sur TF1 après sa libération par les islamistes, en 1994. Pour résister, « le Rebel » a compris qu’il était nécessaire de gagner, au-delà de la Kabylie, l’ensemble de la population algérienne à la cause de la Révolution. C’est pour cela qu’il lui recourt à des « lettres » en français. En effet, il lui était inconcevable de s’adresser à la population arabophone en arabe. Un tel geste aurait été considéré par l’Etat algérien comme un recul sur la défense de la langue Tamazight et tout le combat identitaire. Seule solution : la langue française qui est le « butin de guerre » de tous les Algériens, pour reprendre l’expression de Kateb Yacine. Un grand nombre de ses albums portent un titre en français : Hymne à Boudiaf, Regard sur l’histoire d’un pays damné ou encore La Sœur musulmane. Un des chants de Matoub s’intitule À mes frères : « À mes frères ! À l’Algérie entière ! Des montagnes du Djurdjura jusqu’au fin fond du désert, montrons notre courroux. Montrons que nous nous aimons, mais sans porter atteinte aux consciences… Mais porter un coup fatal, décisif, à ces soi-disant opposants ; à ces fainéants de la Nation qui se pavanent dans les salons de l’Occident et qui nous embourbent de boue et de désillusion. Et à ces gens sans entente qui sèment le trouble et la honte sur cette terre prospère, très chère, où beaucoup de mère ont souffert./ Qu’ils se taisent ! Qu’ils se taisent ! Mais qu’ils se taisent.[3] » La langue française devient ainsi le signe rassembleur un peuple divisé, le signe en mesure de susciter le signe commun à l’ensemble de la société pour briser le signe dictatorial. Pour le même chanteur, il est aussi important d’imposer son verbe au « Pouvoir algérien », de ne pas lui laisser l’occasion de brandir l’incompréhension de la langue kabyle pour fuir ses responsabilités ou encore pour faire semblant de ne pas avoir entendu la menace populaire : « Monsieur le président,/ C’est avec un cœur lourd que je m’adresse à vous. Ces quelques phrases étancheront peut-être la soif de certains individus opprimés. Je m’adresse à vous avec une langue empruntée, pour vous dire, simplement, que l’État n’a jamais été la patrie.[4] » Il est donc davantage question d’emprunt et non de dissolution, manière d’affirmer que le colonialisme est bel et bien fini et qu’aujourd’hui les Algériens sont face à une nouvelle forme de colonialisme. Et pour vaincre, toutes les langues sont bonnes.

 

Ali Chibani


[1] Voir trad. Youcef Nacib, Slimane Azem, le poète, Alger, éd. Zyriab, coll. Awal abadni, 2001, p. 81.

 

[2] Ibid., p. 684.

 

[3] Voir trad. Yalla Seddiki, Lounès Matoub, « Mon nom est combat », chants amazighs d’Algérie, Paris, La Découverte, 2003, p. 87.

 

[4] Ibid., p. 68.

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15 novembre 2006 3 15 /11 /novembre /2006 16:37

« Je » à mourir[1]

 

 

 

 

 

 

Il est communément admis en Europe que l’Afrique est un monde collectiviste où le « je » étouffe. Nul ne peut exister singulièrement pour lui-même. Un modèle est toujours imposé à l’individu. Ou il le suit, ou il meurt. Marche avec nous ou crève (au propre et au figuré) ! Le « je » est dans ce cas-là un arbre dans une forêt touffue à tel point que les arbres se soutiennent les uns les autres, comme diraient les exotiques, ou s’empêchent de vivre.

Mais quel modèle propose donc « l’Occident » ? Là, pour penser que le « je » n’étouffe pas, il faut être mégalomane. Existe-t-il vraiment ? Et si oui, respire-t-il ? Si vous faites une nouvelle rencontre en Afrique, la première question qui vous est posée est : « vous appartenez à qui ? ». En Europe, on s’interroge sur « ce que vous faites ». En d’autres termes sur vos performances. Car là, la personnalité s’établit après-coup. Faites, produisez et l’on vous dira, selon les résultats, ce que vous êtes. En Afrique ce sera : « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ». En Europe, aujourd’hui il faut dire : « Dis-moi tes chiffres, je te dirai ce que tu vaux ».

Toute individualité est dotée d’une personnalité. Mais il est impossible de l’étoffer si en face il n’y a pas le choix des miroirs. Il y a si peu d’images préfabriquées à « mimer » pour avoir l’assentiment du groupe et se sentir exister. Et le peu qui existe est dépassé et dangereusement maintenu, même de manière restreinte et restrictive, ne rassurant en rien. Nous y reviendrons. Là, l’individu est nu. Il est un arbre planté dans le désert qui attend ses premiers fruits pour savoir s’il est un olivier ou un cerisier. Mais, dans le désert, le printemps n’existe pas. Les oliviers et les cerisiers ne survivent pas au despotisme du sable et de la canicule. Faut-il être un arbre dans une forêt touffue ou dans le désert ?

La question est de taille pour nous les Africains qui suffoquons de courir derrière le « Blanc ». Nous perdons notre âme en même temps que notre souffle. Nous nous soucions du pétrole et des diamants pillés et nous oublions le burnous et le boubou, définitivement chassés par les jeans et les « costards ». La question est de taille parce que, de nos jours, ceux des Africains qui se déclarent libérés sont, en fait, des aliénés. « Je me suis sauvé grâce à la France », crient certains d’entre eux. Cette France qui ne nous demande que de marcher au pas, de lui déclamer matin et soir notre fascination pour sa « supériorité » afin de maintenir sa fascination pour notre « infériorité » et nos efforts pour la rattraper. Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Rachid Boudjedra, Tahar Djaout, tous l’ont affirmé : notre rôle aujourd’hui dans l’Histoire est de donner le change, de pleurnicher sur notre sort pour que l’Occident se dise vainqueur et oublie l’indépendance de l’Algérie ; notre rôle est de nous battre pour nuire à une pensée ouvertement raciste, meurtrière, qui a osé prétendre féconder le monde. Nos chers libérés ont en réalité vomi leur être pour se remplir d’air. Elle est belle la libération !

La question est de taille car ceux qui se sont essayés à la mimésis du Grand Occident et qui ont reconnu leur échec sont tombés dans une autre forme d’aliénation, celle que Mammeri nomme « la ghettoïsation », dans un mimétisme non réfléchi des « ancêtres » la plupart du temps mythique pour nous rassurer en attendant d’émerger et de voir le soleil. Nous n’avons pour vivre que les catacombes. Lorsqu’on relève la tête pour en sortir, les catafalques ont déjà été disposés par les officiels de partout : afin de faire croire que l’on prend soin de nos cadavres alors qu’en réalité, c’est la fosse commune qui nous attend.

Surtout, la question est de taille parce que l’Occident impérialiste a tué, sans espoir d’appel, tous nos dieux et nous a imposé son Dieu, l’irréfragable, le colérique, et son Fils qui a versé son sang pour nous qui n’avions jamais rien demandé. Peu importe notre avis, nous devons faire amende honorable, nous plier, nous fondre dans sa « logique », nous laisser assimiler. Alors nous sommes écartelés entre un Dieu d’Orient et un Dieu d’Occident qui se disputent nos chairs et nos langues. N’est-ce pas la France, et cela continue encore, qui a réduit les nord-africains à une identité religieuse en les regroupant sous le terme de « musulmans » (sans langue, sans terre, sans histoire) ?

Une fois mangés, une fois disparus, les monticules des tombes de nos dieux dans la terre, effacés par le temps qui ne pardonne pas, voilà l’Occidental qui arrive avec son gros drapeau de civilisé civilisant pour nous dire que notre nouveau Dieu – nous avons fini par nous rendre – est archaïque, dépassé et que maintenant il faut Le tuer. Depuis toujours, les grands du Nord ont voulu être eux-mêmes des dieux. Aujourd’hui, pour nous, il est en effet le « dieu des couleurs ». Nous voyons tout par son œil bienveillant. Nous sommes des gens de couleur comme si le blanc n’en était pas une. Les Amazighs doivent se nommer Berbères, c’est-à-dire « étrangers » y compris entre eux. L’Occident, c’est l’Amérique et l’Europe de l’ouest comme si le terme d’Occident était réservé à l’hémisphère nord de la planète. Ainsi le Maghreb (Occident en arabe), pour l’inclure dans un Monde arabe fantôme (qui l’a inventé celui-là ?), signifie-t-il « Orient » en occidental ! Le Sud ne dort pas ; au Sud, le soleil ne se couche jamais et s’il le faisait, c’est qu’on ne l’a jamais vu. Et comment le voir ? La lumière des canons et des balles maintient le jour même hors de son enclos. Ici, le temps est Un. Nous l’avons accepté comme notre destin. Nous sommes tous des morts aux yeux ouverts.

Car après tout, à nous, le nouveau dieu ne laisse que le choix des armes. Des plus efficaces, quand nous nous entretuons. Des plus archaïques, quand la guerre se fait contre lui. Il y a déséquilibre : un temps arrêté se bat contre un autre qui s’est affolé. Déséquilibre que nous avons fini par accepter bien qu’il soit mortel. Ce que les fusils, les écoles, les génocides n’ont pas achevé, n’ont pas fait admettre, le nucléaire, le capitalisme et le rêve distillé à coups d’images l’ont fait. C’est au XXIème siècle, à l’heure où les peuples sont dits « libérés », que la supériorité de la race est admise… même en Afrique[2].

Mais il faut survivre. Du coup, on s’entredéchire, c’est à qui ressemblera le plus aux autres, aux plus grands et aux plus beaux. La course est lancée. Si un « je » n’est pas entré dans la course, il veut toujours survivre. Or pour ne pas mourir, il faut rejoindre le groupe. C’est là la logique qui nous assimile. Nous avons fini par confier notre sort au syllogisme. C’est tout cela le rapport, à la fois vital et castrateur, du « je » et du « nous » en Afrique. Ce rapport n’existe pas en « Occident ». Il n’existera pas. L’Occidental a oublié qu’il est mortel. A l’extrême inverse, l’Africain a oublié qu’il est vivant.

Entre Occidentaux – nous n’avons pas le choix des mots –, plus particulièrement en France, que se passe-t-il ? La personnalité est définie par une appartenance socio-économique et non généalogique ou spatiale. Et là, le « nous » est une brute qui, faute de « je », cherche à déchiqueter le « vous ». Ainsi, un bourgeois doit rester fidèle à une image qui date du XIXème siècle : il doit être raffiné, intellectuel et silencieux. Le pauvre, aujourd’hui on parle de « gens des banlieues » ou du peuple, est violent, sale et ignare. Et le malheur est que chacun de ces groupes accepte son étiquette et assume son image qu’il entend perpétuer. Les premiers affirment leur existence dans une forme d’enfermement sectaire, les autres par un viol perpétuel de l’espace de l’autre. Le premier n’osera même pas se balader dans la forêt du second ; le second ne peut passer sans déchiqueter la soie du premier. Et gare à celui qui enfreindra la règle pour s’affirmer ! L’iconoclaste, qui est pourtant notre espoir à tous pour un monde plus juste, est isolé par les deux groupes. Il est voué à la mort.

Chaque groupe se plaindra par la suite de son image. Pourquoi les médias viennent en banlieue uniquement quand il y a quelque chose de mauvais qui se passe ? Si la caméra ou une plume intelligente[3], ce qui est infiniment rare, décide d’y aller par curiosité sans définir au préalable les images et les récits qu’elle ramènera, alors, le groupe se constituera fidèlement à l’image qu’on lui a attribuée : « Ainsi, ils parleront de “nous” ! ». Les « raffinés » iront exprimer leur « populisme » – ils appartiennent à une caste sacrée et non au peuple : « Ainsi, on nous entendra ! ». Qui est ce « ils » ? Qui est ce « on » ? Le « nous » et le « vous » qui ne veulent pas, ne peuvent pas s’allier. Car, ici, le groupe – le « je » est un non-lieu et l’image la commandant est définitivement figée – s’affirme par rapport à l’autre, un rapport fondé sur la distance, sur la menace et le massacre.

Cela ne dure que depuis plusieurs siècles ! Demain, un autre jour se lèvera. Il faut juste que cesse la folie du temps pour le reconnaître.

 

 

 

 

 

 

Ali Chibani

 

 

[1] A l’origine de cette réflexion, ce qui veut dire qu’elle ne s’y rapporte dans son ensemble : un entretien accordé par l’écrivain algérien Mohamed Kacimi au journal Libération. Il y a livré une pensée juste, fondée sur l’islam, mais partiale et partielle à notre goût car limitant l’identité de l’Afrique du Nord à une identité purement religieuse à laquelle il oppose une identité occidentale libératrice purement artistique.

 

[2] Jusqu’aux années 2000, les parents berbérophones, notamment en Algérie, pour échapper à la liste de prénoms arabes imposées par l’Etat afin d’effacer les prénoms amazighs donnaient à leurs enfants des prénoms européens, surtout quand ces enfants sont des filles, pratique – la limitation du phénomène aux filles – induite par la religion musulmane, car les garçons, les seuls à avoir une ascendance et qui auront une descendance, doivent perpétuer les prénoms, fussent-ils d’origine arabe, du grand-père, de l’arrière grand-père… Aujourd’hui ce phénomène se généralise mais par fascination. Ainsi, en Algérie par exemple, de nombreux enfants portent les prénoms des stars du cinéma américain, et parfois, comble de tragédie pour les nouveaux nés, des gagnants de la Star’académy (ce n’est pas une blague). Récemment, on m’a rapporté que le même phénomène se produit au Sénégal où aux prénoms africains ou arabes adaptés, sont accolés à des prénoms européens. Ainsi peut-on avoir des Jean-Amadou ou encore Jacqueline-Fatoumata !

[3] Les médias français sont toujours fidèles aux attentes réelles ou présumées de leur(s) public(s) servi(s) sur commande. Une fois le drame passé et mal présenté, ce qui a parfois des résultats très dommageables pour tous, ils organisent des tables rondes afin de réfléchir, disent-ils, et de faire leur méa-culpa. Les consciences apaisées, les mêmes comportements reviennent. Justement, Boudjedra, dans FIS de la haine, explique bien comme les médias français ont donné au Front islamique du salut la valeur d’un réel parti politique, ce qu’il n’a jamais été, l’aidant ainsi à asseoir une forme de légitimité auprès du peuple algérien dont les paraboles ont remplacé la gégène coloniale. Tout le monde sait que ces mêmes médias ont participé à propulser le FN, en 2002, au second tour des élections. Cela n’empêche pas la réalisation des mêmes erreurs. Ainsi, une chaîne de télévision publique a récemment commandé un sondage sur les priorités des Français pour les prochaines présidentielles. L’insécurité est arrivée en quatrième position, juste avant l’immigration. Le débat a tourné pendant plus d’une heure et quart sur l’immigration et moins de trois quarts d’heure sur les autres sujets tels que l’emploi et le pouvoir d’achat. Ainsi, ces médias et tous les intellectualistes et les chercheurs officiels, heureux d’avoir un micro sur lequel cracher pendant des heures faute d’une bonne oreille qui les écoute, limitent les victimes d’une extrême droite au pouvoir aux pauvres et dangereux immigrés, comme si les nationaux pouvaient gagner à élire un parti dont le seul programme est celui de la haine d’autrui.

 

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2 novembre 2006 4 02 /11 /novembre /2006 18:41

Dieu fait à l’image de l’homme

 
 

 

 

 

 

 

 

        L’islam menace l’Europe et ses valeurs. Telle est l’idée véhiculée depuis quelques jours par de nombreux titres de la presse écrite. Il s’agit, encore une fois, du culte de la peur de l’Autre. Un Opéra censuré en Allemagne, un professeur de philosophie menacé en France, que signifient toutes ses atteintes à la liberté de créer, de s’exprimer, si chère à la démocratie ? Il est indéniable qu’aucune pensée ne doit être censurée pour quelque raison que ce soit. Rejeter les insultes gratuites est une chose, refuser le débat constructif et instructif en est une autre à laquelle il ne faut pas céder. Or le débat est ici faussé puisqu’il se sert manifestement de la religion musulmane comme prétexte et porte sur des idées autres que celles mises en avant. En effet, après chaque polémique, ces médias qui défendent la liberté d’expression n’accordent régulièrement la parole qu’à ceux qu’ils considèrent comme étant les représentants principaux de l’opinion musulmane, à savoir les extrémistes et les terroristes (les dirigeants iraniens, les frères musulmans et les islamistes pakistanais). Sans doute parce que ces derniers alimentent, par leurs discours haineux, cette même polémique, tout en restant fidèles à l’image que l’Occident s’est construit du monde étiqueté « musulman ». En se servant de la religion comme paravent, ce comportement insolent et irresponsable des médias aboutit à une confusion entre religion et idéologie terroriste. 

 

Y a-t-il de la violence dans le Coran ? Oui. Et cela ne peut étonner que ceux qui veulent bien l’être. Tous les Livres saints reposent essentiellement sur deux procédés rhétoriques visant à susciter la convoitise et la terreur. Le Coran comme la Bible proposent un monde et une vie idéaux promis comme possibles à la condition de respecter des valeurs, des comportements et des rituels conseillés-ordonnés dans les mêmes Livres. A celui que les promesses ne convainquent pas est promis un châtiment exemplaire, dans l’au-delà et ici-bas. Pour ce qui est de l’au-delà, Dieu s’en charge. Pour ce qui est d’ici-bas, c’est le croyant qui devient la main de Dieu. Il est censé imposer la Parole à celui qui la refuse. Il n’y a donc pas d’ambiguïté. Cela explique l’appel-rejet (à) de la raison. Le Coran appelle à la fois l’homme à éprouver l’existence de Dieu et à ne pas en douter. Que fait la Bible en cette matière ? Idem.

 

         Ce procédé rhétorique implique la possibilité de nombreuses lectures du Livre. En effet, le lecteur cherche moins Dieu que lui-même dans le Texte. De facto, il ne peut trouver que ce qu’il veut. L’un cherche l’espoir, l’amour et le partage. Il veut s’entendre dire : « Aimez-vous les uns les autres » et « Entraidez-vous dans l'accomplissement des bonnes oeuvres et de la piété… ». L’autre cherche des preuves de sa supériorité et/ou une justification à son désir de vengeance après avoir subi une humiliation car l’humiliation fait sauter toutes les barrières. Ce qui l’intéresse est de lire « œil pour œil » ou encore « combattez-les ». Le problème, avant d’être religieux, est personnel. En effet, nous cherchons tous à être. Lorsque le poids de la mort étouffe la vie, nous nous créons une nouvelle possibilité d’être. Elle se situe après l’impossibilité d’être dans l’ici, soit après la mort effective. Le plus dangereux, dans ce cas, est de penser que cette nouvelle possibilité d’être suppose la destruction de l’être-là. Alors, l’homme est objectivé, voire chosifié, avant d’être « sacrifié » comme le démontre explicitement le roman tragique de Yasmina Khadra L’Attentat. C’est le même procédé qui a fait le colonialisme, le nazisme et aujourd’hui l’islamisme. L’Algérie et les Juifs peuvent en témoigner. Pasolini en a fait l’idée principale de son chef-d’œuvre Salo ou les cent vingt journées de Sodome.

 

        Il est certain qu’aujourd’hui ce sont les peuples dits « musulmans » qui souffrent le plus de l’islamisme. Soulever le « spectre » du terrorisme international nous fait oublier la réalité du terrorisme régional, nous privant d’une réaction salutaire pour toute l’humanité. Le plus dangereux de nos jours, c’est moins Al-Qaeda que la réémergence de l’islamisme en Algérie, le retour des Talibans en Afghanistan, la victoire des Tribunaux islamiques en Somalie ou encore le poids du Hezbollah et du Hamas au Liban et en Palestine. Nous remarquerons que tous ces extrémismes s’expliquent par l’humiliation subie sous les dictatures ou les attaques étrangères privant de nombreux peuples de leur liberté. «En face de ce monde-ci [l’islamisme], de cette logique qui fait couler le sang par passion, qui s’est arrogé le droit de détruire les hommes afin de sauver leur âme, il y a l’autre monde à la logique aussi implacable mais froide celle-là, tuant par algorithmes, par système binaire, par informatique pointilleuse. Le monde scindé en deux : l’exaltation meurtrière contre l’algèbre dévastatrice.[1] »

Revenons à l’islam. Les musulmans souffrent d’une autre violence, en l’occurrence l’impossibilité de se situer face à Dieu. Le Juif a créé Dieu, sans lui donner d’incarnation sinon un certain nombre de valeurs poussées à leur état absolu. Le Chrétien a tué ce même Dieu en faisant couler le sang de Jésus qui symbolise la rédemption de l’homme pardonné pour ses fautes passées et à venir. Il reste le sentiment de culpabilité, après le meurtre du « Fils », évincé par la Résurrection. Le musulman, lui, n’a pas créé Dieu, ne peut pas L’incarner et encore moins Le tuer. De ce fait, il est dans le non-lieu. Afin de dépasser cet état de crise, il confère au prophète une valeur divine. Après tout, il est la seule preuve réellement consistante de l’existence de Dieu. Si le prophète tombe, c’est tout le monde ambiant du croyant qui tombe. Ce serait alors l’anarchie, la fin des Temps.

Le meurtre de Dieu, comme Bien absolu, par le Chrétien ne L’a pas totalement effacé. Ce sont les Lumières qui s’en sont chargé en dénudant l’homme. Jung explique : « Le siècle des Lumières, qui a enlevé à la nature et aux institutions humaines leur caractère divin, a ignoré le dieu de la terreur qui demeure dans l'âme.[2] » Ce dernier dieu a pourtant voulu reconquérir le dieu du bien. C’est le commencement du fardeau de l’homme blanc, du colonialisme. Cela aboutit immanquablement à la persécution du peuple « élu », qui atteint son point culminant dans le Shoah que d’autres nomment, maladroitement, ce qui n’est pas moins significatif, « l’holocauste ».

 
 

        Ainsi, les XIXe et XXe siècles mettent en place, en Europe, un nouveau procédé pour définir l’identité et pour un meilleur attachement à soi. La définition du Moi passe nécessairement par la réification d’Autrui. L’échec de la pensée raciste qui fondait cette réification nous détourne vers d’autres motifs, tout aussi infondés, notamment les religions. Du coup, on oppose le modèle démocratique de l’Occident à l’absence de modèle dans les pays « musulmans », oubliant que la laïcité, constitutionnalisée au XXe siècle en France, est une tradition multimillénaire en Afrique du Nord où elle se poursuit surtout dans les villages berbères.

        L’enjeu du débat tel qu’il est lancé aujourd’hui n’est pas la connaissance de l’islam. Le monde occidental s’entête dans sa soif de pouvoir ; les extrémistes islamistes ne cherchent rien d’autre que le martyre. En fait, le premier sert le second ; le second a besoin du premier. Les victimes dans tout ce jeu malsain sont les Algériens, les Palestiniens, les Irakiens, les Libanais, les Afghans… Et c’est à eux qu’on demande de monter au front contre les islamistes, en les condamnant, en les combattant. On leur demande même de justifier leur foi et de se démarquer ouvertement de la violence d’une minorité de fous de Dieu après chaque attentat ou polémique comme s’ils étaient coupables. A-t-on entendu un seul catholique de France condamné l’usage de la religion chrétienne par l’extrême droite ? 

 

L’Occident, qui prétend qu’il est « difficile de critiquer l’islam », a plusieurs siècles de retard dans le débat sur cette religion par rapport au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord. S’il veut rattraper le temps perdu, ce sera en marquant sa volonté de connaître et de comprendre et non pas de mépriser. Dans le fond, tous les hommes cherchent ou ont déjà cherché Dieu. S’Il est quelque part, s’Il n’est pas une mystification de l’homme par l’homme, ce n’est pas en nous détruisant qu’on Le trouvera. En attendant Sa rencontre, donnons-nous le temps de vivre et que chacun s’occupe de ce qu’il maîtrise le mieux dans le seul but de servir, comme par exemple, les journalistes, prisonniers du monisme, d’être des courroies de transmission de l’information et non pas des donneurs de leçons ou des juges.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ali Chibani, Sandrine Meslet, Marine Piriou, Lama Serhan.



[1] Tahar Djaout, Le Dernier été de la raison, Édition du Seuil, Paris, 1999, p. 97.

[2] C.G. Jung, L’Âme et la vie, trad. Roland Cahen et Yves Le Lay, Paris, Livre de Poches, Buchet/Chastel, 1963, p. 366.

 

 

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2 novembre 2006 4 02 /11 /novembre /2006 17:09

L’Assemblée des Sauterelles

par Ali CHIBANI, Marine PIRIOU et Sandrine MESLET

 

« Sauvageons nous sommes, et sauvageons nous resterons[1] »

 

 


Les sauterelles ont une petite bouche. Toute petite mais ravageuse… plus ravageuse que la faux de la Camarde ? Les sauterelles n’ont d’égal que la Secte des oisifs qui, pour oublier leur oisiveté, s’adonnent à leur loisir préféré que nous nommerons, en hommage à l’œuvre zoalesque, l’assommoir quotidien du peuple. Leurs discours fondés sur toutes sortes d’inepties labellisent impunément le meurtre, le viol et légalisent le racisme. En bref, cette confrérie nie, et ce faisant ronge, l’humanité dans sa globalité.     

Soudain, un rappel à l’ordre ! Nos esprits universitaires interpellent ces intouchables. Ils sont hors sujet. Que faire ? Personne n’a d’effaceur, et une deuxième copie vierge leur est refusée. Ils tentent de redresser la barre et reviennent à leurs moutons, en France où il n’y a ni sauterelles, ni sectes et surtout pas d’oisifs. Une solution s’impose à leur esprit : passer sur l’histoire de cette infamie tout en attribuant des vertus au colonialisme, vertus que nos chers députés et honorables ministres s’empresseront d’approuver, devant un Président de la République qui courbe l’échine − la belle aristocratie ! C’est ainsi qu’un certain 23 février 2005 vit renaître la thèse de la supériorité de la race blanche sur les autres races. Et Vichy d’applaudir !

Respectueux des morts, nous nous sommes cependant interdits d’exhumer les os des victimes du colonialisme pour les interroger, et avons pris le parti de demander aux écrivains francophones ce qu’ils pensent de ces écoles qui les auraient convertis, eux « barbares », en bons sauvages. Afin de ne pas les déranger pour si peu, nous leur avons également demandé s’ils se souviennent des routes de l’Empire. Leur réponse est sans appel.  

Notre premier interlocuteur se nomme Mouloud Mammeri, un romancier et anthropologue algérien formé au cours de son enfance à l’école coloniale. Cet inconditionnel nous livre sa vision de l’institution métropolitaine à travers son œuvre Le Sommeil du Juste[2]. Arezki, le personnage principal et autobiographique, est mobilisé par l’armée française pour participer à la seconde guerre mondiale. Sorti de son village kabyle, il découvre la réalité de l’Histoire et de l’éducation qu’il a reçue. Soudain, dans un moment d’ivresse, Arezki rassemble tous ses livres et crie : « Voici la caisse merveilleuse. Mieux que la Coco, une seule de ses fioles, pardon de ces livres, vous fera voir tout en rose : du beau, du bon, du boniment. » Et d’ajouter : « Tout le tas ! L’idéal, les sentiments, les idées. Mais vas-y donc, ha ! ha ! brûle ! ha ! ha !...» Mettre le feu aux idées de l’école coloniale était censé inaugurer « un autre jour » où l’Algérien retrouverait sa propre identité et sa culture maternelle.

        Force est de constater que les dégâts causés par l’imposition de la culture française sont tels que la rencontre avec la mère relève de l’impossible. Amer, Kateb Yacine le déplore lui aussi dans son Polygone étoilé[3]:

 

Jamais je n’ai cessé, même aux jours de succès près de l’institutrice, de ressentir au fond de moi cette seconde rupture du lien ombilical, cet exil intérieur qui ne rapprochait plus l’écolier de sa mère que pour mieux les arracher, chaque fois un peu plus, aux murmures du sang, aux frémissements réprobateurs d’une langue bannie, secrètement, d’un même accord, aussitôt brisé que conclu… Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et son langage, les trésors inaliénables − et pourtant aliénés !    

  

Le profond malaise décrit ici, et ressenti par l’auteur depuis son plus jeune âge, n’est autre que la manifestation d’une inversion traumatique des valeurs éducatives initiées par l’ordre colonial. Nous le comprenons grâce à la dernière scène du roman, dans laquelle Kateb révèle sa rencontre précoce avec le monde géopolitique franco-algérien des années 1930. Par peur de la discrimination, son père le pousse, en effet, à fréquenter l’école française, « la gueule du loup » comme il l’appelle métaphoriquement, où il devra à la fois oublier sa langue maternelle et assimiler celle du colonisateur. La maîtrise de la langue française constituera d’ailleurs son seul espoir de revenir à son point de départ : ses racines. Pour Kateb, l’émergence de cette aliénation au cours de l’enfance devient donc « le piège » caractéristique des Temps Modernes.

Le témoignage du romancier algérien, Tahar Djaout, qui se souvient dans Les Chercheurs d’os[4][4] des premiers jours de l’Algérie indépendante, renforce ces accusations. Après avoir évoqué les « routes », tracées pour rendre accessibles à la haine des soldats, des violeurs et des tueurs les villages les plus reculés, l’écrivain qualifie la période post-coloniale de « temps qui défie toute compréhension ». « Au code d’honneur et aux coutumes des ancêtres ils ont substitué un autre code fait de papiers, d’extraits d’actes et d’attestations divers, de cartes de différentes couleurs », écrit-il. Dirigés par des militaires « portant un casque colonial », les Algériens ont ainsi perdu tout repère et toute organisation politique.

Similairement, mais cette fois de l’autre côté de l’Atlantique, l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau se révolte contre ce système colonial, qui n’a eu de cesse que de chosifier l’Autre conquis, et qui perdure encore aujourd’hui dans les relations entre la France, ses DOM TOM, et ses ex-colonies. Dans Biblique des derniers gestes[5], l’écrivain nous rappelle l’hypocrisie et les contradictions dévastatrices du discours officiel tenu par « la plus Grande France ». Lisons plutôt :

 

La bête colonialiste nous a enseigné que le colonialisme était une œuvre de civilisation, un bienfait pour les humanités, une chance inouïe pour les peuples du monde ! Même les plus écrasés le pensent ! Sauf quelques illuminés comme nous qui parvenons à soupçonner que cette réalité en cache une autre ! Il y a donc autour de notre prétendu réel une série de réalités de toutes natures, avec des géométries, des mathématiques impossibles, des physiques chimies impensables, des géographies sans cartes et sans volume, des temps qui ne s’écoulent pas, des distances sans longueurs, des hors-réalités que nous ne savons pas voir, ou que notre esprit conditionné de mille manières ne sait pas voir ! Ces lieux sont donc quelque part, très réels (…)     

 

Ainsi, Chamoiseau ironise sur le rôle idéologique de l’école coloniale qui permit à la France d’affirmer et de légitimer, à la fois, son expansion impérialiste et sa domination culturelle dans ses territoires d’outre-mer. Au nom d’une supposée mission civilisatrice, l’école coloniale sut embrigader et assujettir les esprits indigènes à travers des discours religieux, pseudo-scientifiques et littéraires à la gloire du modèle hexagonal. L’apprentissage de la langue française, porteuse d’une autre vision du monde, fut la clef de voûte d’un processus féroce d’acculturation des peuples colonisés, phénomène de dépersonnalisation dont les conséquences actuelles continuent d’affecter le Moi de la population créole. Le traumatisme est tel que l’individu, devenu hybride culturel, ne réussit plus à entretenir le lien avec les mythes, la langue, et le folklore de ses ancêtres non colonisés.

Samba Diallo, protagoniste du roman L’aventure ambiguë[6] du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, incarne d’ailleurs cet impossible retour à la culture natale. Revenu de France où il était parti étudier, le héros comprend qu’il est incapable de renouer avec ses racines. « Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que peux lui prendre et ce qu’il faut que je lui laisse en contrepartie. Je suis devenu deux », nous confie-t-il. Seule la mort libérera l’égaré de son ambiguïté identitaire, fin logiquement orchestrée par la main du fou, figure de l’aliénation inhérente à la rencontre de l’Occident et de l’Afrique.

De même, la trame du roman Agar[7] du franco-tunisien Albert Memmi rappelle cette scission de l’intime. Nous y retrouvons toute la dichotomie de l’identité face aux questions de la colonisation, au sein d’un espace privilégié de l’exercice de la domination : le couple. En effet, ce qui est mis en scène de manière intraitable, avec le regard froid d’une dissection, c’est la difficulté d’accorder une culture « dominante » à une culture dite « dominée ». Le couple de jeunes mariés, formé par le narrateur et son épouse, se voit peu à peu rongé par le resurgissement des origines : « Elle avait épousé, à Paris, un étudiant, ne différant en rien des autres ; ses origines, sa famille, ses relations, elle n’avait pu les imaginer. » Ces deux personnages ont, semble-t-il, oublié que la colonisation n’est pas seulement un fait historique, mais un conditionnement social et humain. Or, comme l’indique métaphoriquement le titre du livre, l’amour ne peut sauver le personnage biblique d'Agar ; bien au contraire, il le condamne. Comme il n’existe qu’un fils légitime d’Abraham, il semble n’exister pour les protagonistes qu’une seule voie à leur identité, la séparation et l’abandon de soi : « Ah si encore je pouvais redevenir comme eux », s’exclame le narrateur. « Mon malheur est que je ne suis plus comme personne. Je ne sais même pas me défendre contre ce dégoût de moi-même qu’elle me révèle, dont je suis envahi et que j’approuve. »    

       L’impasse est sans doute ce qui, du fait colonial, est le plus insidieux. Il ne subsiste rien de la tolérance ni de l’amour lorsqu’on refuse de considérer l’identité de l’autre. « Le buste rigide, les yeux hagards prête à se noyer elle se cramponne au lit », écrit Memmi. La mystification amoureuse ne dure qu’un temps et, de la déception, naît un sentiment de trahison qui hante les personnages au point de les enfermer. De cet étrange palimpseste amoureux, la littérature ne retient que la délicate position du sujet, perdu entre amour et connaissance de l’autre. Et lorsque, enfin, on découvre l’être originel dissimulé sous le palimpseste, est-on toujours bien certain de réussir à le déchiffrer ? Le narrateur s’interpelle d’ailleurs à ce sujet : « Et je l’aurais peut-être fait si, en la tuant, j’avais anéanti cette image de moi-même qu’elle me présentait et où je me reconnaissais, ce masque qui m’enserrait la figure comme une pieuvre. » La littérature renvoie l’écho de ce chaos intérieur provoqué par le resurgissement douloureux de l’identité.

    En un mot, à force d’endoctrinement et de déshumanisation, la colonisation n’a réussi qu’à dépourvoir ces peuples conquis de leur essence. La perte de leur Monde, de ses vérités et de ses « hors-réalités », devait engendrer celle de leur âme. Malgré tout, certains de nos contemporains s’obstinent, de manière indécente, à qualifier de « positive » l’œuvre coloniale française via la glorification de ses infrastructures. Rappelons néanmoins que celles-ci étaient uniquement destinées à l’exploitation intensive des territoires colonisés. Il convient donc de nous interroger : l’esprit dit cartésien des membres et représentants de la lumineuse civilisation ne perdrait-il pas à son tour le logos ? 

Aujourd’hui encore, plus de la moitié de nos concitoyens (65% selon un sondage CSA-Le Figaro réalisé le 30 novembre 2005) pense que la colonisation a engendré des effets positifs. Comment l’occupation belliqueuse d’un territoire et son pillage généralisé peuvent-ils être jugés comme positifs ? Et que dire de l’école coloniale… Les Lumières dont nous revendiquons si fièrement la descendance, se sont à jamais éteintes le jour où nous avons conditionné les esprits de ces peuples « indigènes », méprisant leurs cultures     qui nous auraient pourtant tant appris.    

        Admettre qu’il n’y a rien de positif dans ce triste ouvrage collectif ternirait-il l’image de la mère patrie ? Non. Cet aveu la grandirait et révèlerait sa capacité à reconnaître ses erreurs et à ne pas se complaire dans la bêtise et l’ignorance. La loi du 23 février 2005 est en conséquence une mauvaise loi, parce qu’elle s’inscrit dans une pensée pro-coloniale dont nous ne saurons être les dupes. Bien que sensibles à la souffrance des rapatriés, il relève de notre responsabilité de nous lever contre cette loi qui ose discerner, et promouvoir, comme le suggère la première partie de l’article 1 de la loi abrogée[8], un rôle positif dans l’occupation brutale d’un territoire. Le mot de la fin revient au grand poète algérien Jean Amrouche, lequel souligne avec subtilité la décadence du colonisateur dans une lettre à George Cezilly: « la culture, le sourire, les grâces, l’esprit libéral des français existent, mais ce sont des masques de l’horrible colonialisme. »     

Qu’on se le dise, ces sauterelles ont eu beau grignoter leur loi, leur appétit vorace ne semble pas rassasié.  Alors « veillons et armons-nous en pensée[9] ! » 

 

Les Sauvageons de la Sorbonne

 



[1] Hommage à Aimé Césaire et à son entretien avec Françoise Vergès publié sous le titre Nègre je suis et nègre je resterai, Paris.

[2] Mouloud MAMMERI, Le Sommeil du Juste, Paris, Editions Plon, 1955.

[3] Yacine KATEB, Le Polygone étoilé, Paris, Editions du Seuil, coll. Points, 1997.

[4] Tahar Djaout, Les Chercheurs d’os, Paris, Editions du Seuil, coll. Points 1984.

[5] Patrick CHAMOISEAU, Biblique des derniers gestes, Paris, Gallimard, 2003

[6] Cheikh Hamidou KANE, L’aventure ambiguë, Paris, 10/18, 2003.

[7] Albert MEMMI, Agar, Paris, Gallimard, 1984.

[8] Article 1 de la loi du 23 février 2005 : « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. »

[9] François CHATTOT, Jean-Louis HOURDIN, Veillons et armons-nous en pensée, création théâtrale contemporaine et engagée, jouée du 30 septembre au 23 octobre 2005 au Théâtre National de Chaillot.

 

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